Beaucoup de choses ont changé depuis novembre 2019, lorsque le projet ResilienSEA a attribué quatre bourses de recherche sur les herbiers marins à des étudiants en master. Ce n'est cependant pas le cas de la détermination des bénéficiaires à terminer leur programme et à protéger les écosystèmes des herbiers marins.
Comment les herbiers marins de Joal-Fadiouth soutiennent la mariculture locale
Lors de l’atelier technique régional du projet ResilienSEA qui s’est tenu à Joal-Fadiouth (Sénégal) en mars, une partie de l’équipe du projet a rendu visite à l’association locale de femmes maricultrices et de reboisement «Mboga Yaye». À marée basse, une pirogue locale nous a emmenés sur leur site actuel pour les rencontrer et échanger avec elles, pendant qu’elles récoltaient des coquillages. L’atmosphère était joviale et, à notre approche, les femmes nous ont accueillies en chanson.
Nous les avons observées trier les coquillages avec des seaux en plastique et des tamis, et les nettoyer de la boue dans laquelle ils se trouvaient. Les coquillages ramassés dans les eaux marécageuses incluent notamment des coquilles d’arche, des palourdes et des moules. Les femmes récoltent également des huîtres qui poussent sur l’écorce des mangroves et sur des filets installés entre les troncs. Dans un souci d’assurer la pérennité des récoltes d’huîtres, l’association participe activement au reboisement des mangroves.
Bintu Sonko, présidente de l’association Mboga Yaye, nous a expliqué qu’elles souffraient d’un manque d’équipements adéquats, tels que des bottes de plongée, des gants, des pirogues, des gilets de sauvetage, etc. Cette pénurie de matériel rend la récolte plus ardue. L’association compte 110 membres, exclusivement des femmes; chaque membre verse une cotisation annuelle à l’association, qui est ensuite redistribuée au cours de l’Aïd-Al-Adha. La fête musulmane, appelée Tabaski dans la région, est la période la plus importante de l’année pour la communauté Serer.
En 2004, le gouvernement sénégalais a créé autour de Joal-Fadiouth une Aire Marine Protégée (AMP) afin de mieux conserver les ressources (notamment halieutiques) et tous les écosystèmes associés qui contribuent au développement de la biodiversité, tels que les herbiers et les mangroves. D’après le colonel Boucar Ndiaye, directeur de la Direction des Aires Marines Communautaires Protégées (DAMCP), qui a également assisté à l’atelier, « la création de l’AMP en 2004 a permis d’améliorer la gestion durable de la récolte de coquillages par l’association Mboga Yaye, parmis d’autres. Nous nous devons donc d’aider ces femmes à gagner un revenu décent en veillant à ce que cette tradition ancestrale puisse perdurer, dans le respect de l’environnement».
Depuis lors, les femmes passent environ un mois sur chaque site de récolte avant de changer; l’alternance entre les différents sites de l’AMP favorise la période de repos biologique nécessaire à la régénération des ressources. Les périodes pendant lesquelles un site donné est ouvert à la récolte sont décidées en consultation avec d’autres associations de femmes de Fadiouth et avec le conservateur de l’AMP, le capitaine Cheikh Diagne.
Une fois récolté, la transformation du produit est assez simple; les coquillages sont séchés au soleil et vendus tels quels. L’association pourrait doubler ses revenus en vendant le produit frais, mais cela s’est révélé plus complexe, des autorisations spéciales étant requises et la conservation du produit étant plus difficile. Néanmoins, l’association tente de se moderniser et de former ses membres dans cette direction.
Les revenus générés par la mariculture aident à couvrir les dépenses des ménages, mais permettent dans certains cas également aux familles de payer les frais de scolarité. Les étudiants les plus brillants obtiennent ensuite des bourses pour étudier à l’université de Dakar ou même à l’étranger. Ce n’est pas un hasard si Léopold Sédar Senghor, le poète qui fut le premier président du Sénégal de 1960 à 1980, était originaire de Joal. De nombreux ministres (François Bopp, Joseph Ndong, Sophie Gladima Siby, Aïssatou, André Sonko, etc.) sont nés ici, et pour certains, le financement de leur éducation peut être attribué aux revenus générés par les femmes ramassant des coquillages.
Il était important pour l’équipe ResilienSEA de rendre visite à cette association et de voir si le lien entre la conservation des herbiers marins et cette activité économique pouvait être établi. Les écosystèmes d’herbiers marins et de mangroves fournissent de multiples services aux populations, à l’économie et à l’environnement locaux. Parmi ceux-ci, les herbiers marins servent de nurserie à de nombreuses espèces de poissons, tortues marines et lamantins, à la stabilisation des sédiments et à la protection du littoral contre les ondes de tempête, ou encore à la séquestration de carbone. Un autre service écosystémique important est celui de la régulation de la qualité de l’eau.
Comme l’explique Mohamed Ahmed Sidi Cheikh, expert Mauritanien en herbiers marins, « les herbiers marins jouent un rôle important dans l’amélioration de la qualité de l’eau en contribuent à l’épuration des eaux côtières par l’absorption de multiples substances telles que l’azote, le carbone et d’autres éléments-traces métalliques)». Des écosystèmes d’herbiers sains sont vitaux pour Bintu Sonko et son association; elle explique que «la création de l’AMP en 2004 a permis d’accroître nos connaissances sur les écosystèmes d’herbiers marins; nous comprenons maintenant leur rôle crucial pour nos activités de mariculture. Toute réduction de l’étendue des herbiers marins dans l’AMP aurait de graves conséquences pour nous et nos revenus ».
Abdou Karim Sall, président de l’association de pêcheurs sénégalais, est conscient du rôle que les herbiers marins jouent pour la pêche, mais aussi pour la récolte des coquillages. Il plaide depuis des années pour la conservation durable de ces écosystèmes. Il soutient que «les palourdes, en tant qu’activité génératrice de revenus, sont fondamentales pour l’économie locale. Les herbiers marins se situent au bas de la chaîne alimentaire et sont essentiels pour les palourdes, pour la pêche et pour la sécurité alimentaire à Joal-Fadiouth dans son ensemble».
À la fin de la visite, Tanya Bryan, chef du projet ResilienSEA, a déclaré: « J’ai vraiment été impressionnée par l’aspect communautaire de cette association et par la manière dont les femmes sont organisées. La récolte des coquillages fait partie de la culture Serer depuis des générations, mais le fait de voir cette activité évoluer en une ressource économique durable pour ces femmes et leurs familles démontre une fois de plus à quel point les écosystèmes d’herbiers marins sont précieux pour les populations, l’économie et l’environnement de Joal-Fadiouth, et de l’Afrique de l’Ouest en général ».
La récolte de palourdes à marée basse est un dur labeur. Crédit: Rob Barnes.
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